Questions pour un Artiste : Entretien avec Déhà

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crédit photo : Helen on Morphine

Entretien avec Déhà, multi instrumentiste, compositeur, producteur et homme aux mille et un albums, Objectif live s’est intéressé à cette personnalité déroutante et hors du commun.

Bonjour Déhà tout d’abord merci de nous accorder cette interview, peux-tu rapidement te présenter ?  Déhà, Belge d’origine italienne, vivant en Bulgarie, je suis  musicien depuis plus de vingt ans, actif depuis bientôt dix ans, producteur pour groupes depuis quatre ans. Et traducteur aussi, pour parler de mon boulot qui me permet de manger, mais qui me prive de temps.

Tu joues de la guitare, du piano, de la batterie, de la basse entre autre, à quel âge as-tu commencé la musique et par quel instrument as-tu débuté ?  J’ai commencé quand j’avais quatre ans, en chipotant un clavier, rien de bien sérieux mais en fait si. Je suis devenu rapidement un compositeur qui comprenait la musique (pas comme maintenant hein, mais je m’amusais beaucoup en apprenant, copiant des structures, etc.). Puis ma sœur a eu une guitare qu’elle ne touchait pas des masses, donc je tapais pas mal dessus. Et au final, voilà. J’ai commencé par la guitare sérieusement quand j’avais 15ans. La basse quand j’ai eu 18ans. Le piano, j’ai toujours touché un peu donc je suis loin d’avoir un bon niveau mais je sais jouer deux ou trois choses. Même chose pour la batterie. Et le chant depuis un bon moment, on va dire. Principalement je me considère comme bassiste, et gueuleur avant tout.

A écouter tes albums, on note immédiatement une certaine facilité à jouer de tous les instruments, es-tu autodidacte ou bien es-tu passé par un apprentissage classique de la musique ?  Autodidacte serait plus sage à dire, vu que les quatre ans de solfège que j’ai faits ne m’ont rien appris de plus que ce que je savais déjà en touchant un ordinateur (ce qui était drôle vu que je parlais en C D E F G A B et eux en Do Ré Mi Fa Sol La Si). Au final, c’était beaucoup d’écoute, de tous styles, pour apprendre comment fonctionnait le trip hop, le hiphop ou la section rythmique du funk, etc. Beaucoup, beaucoup d’écoutes. Et ça forge pas mal. Je me souviens de quelques connards (pardon) qui m’ont montré un jour une composition pour un ‘jingle électronique’ qui sonnait comme un morceau de rock, joué avec des instruments de rock, avec une structure rock. Merde hein, tu veux faire de l’électronique, tu ne prends pas tes inspirations rock… enfin, sauf si tu veux faire un truc différent mais ce truc-là sonnait plus comme du Coldplay que du Flume, hein. En fait, parfois, l’apprentissage se passe par le passif (l’écoute, etc.) que l’actif. En ce qui me concerne, c’est une grosse part de mon expérience actuelle.

On te connaît surtout grâce à des groupes tels que We all die (laughing), Clouds, Sources of I ou encore Maladie, quels sont les autres principaux groupes dans lesquels tu officies ?  Ah mais tu viens de les dire ! Je fais une différence entre les groupes (à savoir où je ne suis pas seul) et mes projets solo, ou créés solo. Ici, ce sont presque tous les principaux! Ceci dit, il aurait été rare d’avoir un sans-faute vu que j’ai autant de groupes que de t-shirts de groupes que j’aime. Donc, il  VAER , groupe de post black metal super mélodique à la base avec Daniel N de Clouds / Eye of Solitude, depuis peu avec Ahephaïm (Humanitas Error Est, ex-Enthroned) et les deux guitaristes d’Eye of Solitude. – DEOS, funeral doom, avec Daniel encore, et Xander de Descend Into Despair – LEBENSSUCHT, black metal dépressif violent(avec Ahephaïm & S Caedes de Humanitas aussi). – AURORA BOREALIS, avec Alexandra Zerner, guitar héro de Bulgarie et mon coach à la guitare aussi, et on fait du post rock instrumental un peu progressif. C’est pas mal déjà

Tu as également plusieurs projets en solo, peux-tu nous en parler et nous les décrire en quelques mots ? J’en ai, là aussi, pas mal mais je garderai l’essentiel. – IMBER LUMINIS, où je suis seul, qui est une musique émotionnelle à tendance un peu DSBM mais quand même pas trop, grosse influences black & post rock. Je ne cherche pas trop à savoir le style d’IMBER LUMINIS,  je joue et voilà. – MERDA MUNDI, black metal direct, violent et sombre, en Son nom, toujours plus bas, pour lui et dans lequel je suis seul. – COAG, grindcore négatif et chaotique, anti gens où je suis seul également – SLOW, funeral doom atmosphérique, plutôt contemplatif que dépressif – YHDARL, suicidal black / doom / drone metal, avec Larvalis en compo, piano et voix aussi – Et d’autres, soit un peu calmes dans l’activité, soit anonymes.

Tu es impliqué dans une kyrielle de projets et tu es producteur par-dessus le marché, comment parviens tu à gérer ton temps et à t’organiser pour parvenir à être aussi productif et efficace sur la qualité de tes œuvres personnelles et de celles que tu produis pour les autres groupes dans ton studio ? – Je n’arrive pas à gérer le temps, justement, c’est presque impossible. Je travaille la musique avant et après mon travail « de base », mais je dois aussi prendre soin de ma petite famille, manger, me reposer, etc. Ça n’arrive que rarement, pour être honnête, une fin de journée où je suis satisfait. Je fais bien sûr de mon mieux pour arriver à des résultats propres et rapides (concentré, hein, pas à la va vite) et je n’ai jamais déçu un groupe de par ma production, donc pour le moment, j’arrive à gérer. Par contre, en ce qui me concerne et mes projets, là, c’est une autre histoire. Des albums dont je suis fier mais dont le travail, en heures, n’est que trop peu, où j’aurais dû prendre mon temps, etc.

Parmi tous tes projets ou groupes, lesquels te tiennent le plus à cœur et pourquoi ?  Yhdarl. Définitivement. Simplement parce que c’est le premier projet que j’ai créé il y a 10 ans et qu’il était, à la base, privé et personnel pour être une catharsis (cliché 3), un besoin. Bien sûr, avec le temps, je me suis rendu compte que j’avais besoin d’autres sources de lâchement vu que trop de choses sont illégales ici, donc d’autres groupes se sont créés, comme Merda Mundi qui me permet de ressortir une haine primaire envers Dieu, dans un concept bien personel. Mais chaque groupe, ou projet, m’apporte quelque chose, c’est certain. Yhdarl reste ce qui se rapproche plus de « moi » en musique, vu qu’il ne suit pas qu’un style musical (ca va du doom extreme, au doom ambient, au black metal, au dsbm, au drone, à la noise, à l’expérimental, …) et qu’il me concerne directement. Ce qui est d’autant plus bizarre vu que Larvalis est rentré dans le groupe en 2011, et elle est la même que moi, au féminin, juste. C’était « dit », si tu veux.

A l’écoute de certains de tes albums, on ressent de ta part un énorme penchant pour les tempos lents et la musique sombre et torturée, peux-tu nous dire quelles sont tes sources d’inspiration ? – Héhé, tu devrais écouter Merda Mundi ou COAG, pour voir ! Mais c’est vrai oui, et cela va simplement avec ce que je suis : dépressif, sociophobe, avec une haine passionnée pour le monde, la crédulité, le modernisme et beaucoup d’autres choses (Note : que les gens me comprennent : il n’y a pas de concours à qui est le plus dépressif dans la vie, ou celui qui souffre le plus pour attirer l’attention. Je dis simplement ce que j’ai, mes conditions n’ont pas à être un secret national et qui sont vraies. C’est pas pour me donner un style, comme trop le font. Surtout que ces temps-ci, c’est à pleurer de rire de voir ces gens qui par le biais de réseaux sociaux se plaignent et souffrent de ne pas souffrir parce que manque d’attention. Monde de merde). Entre cela et le fait que je sois sevré depuis quatre ans de substances non licites, c’est parfois lourd à gérer, mais je ne veux qu’être clean (c’est trop cher, vraiment, la drogue, même si cela me manque) et tout gérer par moi-même, sans aide, sans rien. S’il y a souffrance physique ou mentale, je me dois de vivre avec et de la gérer au mieux. Forcément, cela se ressent dans ma musique, vu que c’est une catharsis vitale (oh le cliché). Il n’y a pas de souffrances inutiles dans ce que je vis, et j’en profite autant que de mes moments d’euphories. Bien sûr, la vie, la mort et mon altercation avec elle sont des inspirations profondes et ancrées dans mon parcours et mes musiques, mais tout peut venir d’un effet papillon. Lors des attentats au Bataclan, j’ai composé 14 minutes pour un groupe dont je tairai le nom pour la surprise, et c’est un des meilleurs morceaux que j’ai pu écrire, en impulsion, besoin direct, pour passer outre la perte de connaissances (repose en paix, G.). Lorsque j’ai écrit ce qui est pour moi mon chef d’œuvre (Yhdarl – Ave Maria), cela a pris 3 ans de ma vie, des évènements violents, des introspections horribles, des nuits sans fin, etc (cliché 2). Mais voilà. La catharsis, cette bonne vieille catharsis. Comme une vieille pute dégueulasse avec qui tu te sens bien.

La musique occupe une grande partie de ton existence, quels sont tes autres passions ou centres d’intérêt en dehors de la musique ?  L’art visuel, principalement : dessin, sculptures, peintures, manipulations, … Mais la soif de connaissance, je pense, reste mon numéro un. Tout ce que je peux lire, tout ce que je peux apprendre en fait, pour tous horizons. Après, oui, dans un truc plus mondain, j’apprécie beaucoup regarder des films ou des séries (tout ce qui est criminel et/ou fantastique, principalement). Sinon, je suis casanier. J’aime mon chez moi, ma famille, mes proches et personne d’autre. Sortir boire des verres, assister à des concerts, vacances à visiter des villes, … tout cela n’est vraiment pas pour moi. Même si j’ai envie de voir tel ou tel concert, il est très difficile de gérer ma sociophobie lorsqu’entouré de trop de gens, et les crises sont horribles. Je préfère me priver de tout cela. Ça ne me manque pas trop.

Peux-tu nous parler de ton actualité pour 2016 ? . IMBER LUMINIS – J’aimerais faire un album de compilation/rerecording des chansons du groupes mais dans un aspect plus rock, non criés (ou peu), comme un exercice. Bien sûr, j’ai toujours l’album « Timelapse » à finir, mais quand je ne suis pas satisfait, je ne sors pas les choses. Donc je travaille toujours dessus, lentement.

. YHDARL – Il y a l’Ave Maria II qui est en route et qui sera, je l’espère, aussi violent que le premier. Loin d’être fini, il a déjà un an de travail derrière lui. En aura encore un. Mais si tout se passe bien comme dans mon plan, ça sera une sortie majeure, avec quelques invités qui sont des monuments à mes yeux. Fin d’année sortira aussi un autre album d’Yhdarl qui m’a pris 5 ans, nommé « LOSS », beaucoup plus axé black metal mais toujours avec cette ambiance unique, et avec des guests de prestige (Ascaris d’Aevangelist, Old de Woods of Desolation, …) Il y a aussi deux albums en plus qui sont en plein travail : un, qui consiste en des rerecordings de morceaux du premier EP et premier album d’Yhdarl, avec un son moderne et violent, et des guests aux voix aussi. Et un autre album qui, si tout va bien, prendra tout le monde à la déroute vu qu’il s’agirait, normalement, d’un album comprenant du doom, du black symphonique, de l’électronique, du speedcore, des chorales et autres joyeusetés.

. COAG – J’aspire à finir l’album qui change concrètement du style du précédent. Beaucoup plus violent, rapide, chaotique et sombre. Manque de temps, surtout.

. AURORA BOREALIS – J’aimerais sortir la discographie du groupe en CD (mais pas d’argent), et nous allons bientôt attaquer le prochain album (mais pas le temps).

. MERDA MUNDI – Je travaille lentement sur le prochain album. Et si tout va bien, avec une petite surprise pour l’été

. VAER – Nous travaillons sur le deuxiéme album qui sera, comme chaque musicien le dirait pour leur nouvel album, harder faster stronger (sans citer un groupe d’électro)

. MALADIE, CLOUDS, SOURCES OF I, WADL : Nous travaillons lentement mais sûrement sur de nouvelles choses. Cela prend du temps, mais c’est normal, la distance, etc.

. Voilà, je pense, et je n’ai pas cité les projets anonymes, donc un jour, je dormirai.

 

Les questions décalées (trois questions pour en savoir un peu plus qui n’ont pas forcément rapport avec ton actualité musicale)

  • Si tu devais ne garder que trois albums parmi tous les albums que tu possèdes, lesquels choisirais tu ?

Beaucoup trop complexe pour répondre. Je n’aurais jamais assez avec trois albums. Mais on va dire ce que j’écoute en boucle depuis quelques semaines :

  1. DIAPSIQUIR – Virus STN + ANTI
  2. I AM – L’Ecole du Micro d’Argent
  3. SHAPE OF DESPAIR – Monotony Fields
  4. SECRETS OF THE MOON – Sun
  5. VLAD TEPES & BELKETRE – March to the Black Holocaust
  6. SUPREME NTM – Suprême NTM
  7. LETHIAN DREAMS – Red Silence Lodge
  8. WEHMUT – Ableben
  • Quel est ton plat préféré ? là aussi c’est chaud, donc je crois qu’on va devoir la faire longue :
  1. Un bon plat composé de lasagnes, sauce tomate bolognaise véritable + œufs + jambon + béchamel + tonne de fromage, le tout gratiné : le plat du paternel représente la famille, et le ventre rond.
  2. La grosse mitraillette belge : Pain vidé de sa mie avec sauce (souvent à l’ail) + cheddar dans le fond + ton gros hamburger tu ne veux pas savoir de quoi il est composé + la tonne de frites + deux sauces à part : représente le peu de liberté que j’ai eu, et ma patrie belge
  3. La pizza 4 fromages que ma femme fait. Genre poivrons rouges en plus + sauce tomate qui contient pas mal de chili, 4 fromages : représente les plats végétariens que mêmes les viandards consomment et aiment
  4. Presque n’importe quel fast-food parce que j’en n’ai eu que trop peu
  5. Presque n’importe quel plat contenant des substituts de viande (tofu, etc.) parce que c’est trop bon.
  6. Par contre : les ¾ des légumes, c’est mort. Y’en a que j’aime beaucoup et je peux manger facile (une salade « à la bulgare » à savoir salade verte, oignons verts, graines de pas mal de choses que mon Français me trahit violemment, yoghourt, maïs et voilà). Mais les aubergines, cornichons, salsifis et autres, c’est juste mort de chez mort.
  • Aurais-tu une anecdote de studio ou de concert à nous faire partager ?
  1. L’an passé, le groupe de death melo/doom bulgare BLEAK REVELATION sont venus chez moi pour leur premier album, et on a tout fait ensemble (recording, etc.). Lors des passages en chant clair, je leur ai donné un cours de chant pour mieux maîtriser la chose, et disons-le : je pensais que ça allait être un truc qui rentrait dans une oreille et sortait de l’autre. Après les avoir coaché pendant deux semaines en gros. Puis, je les ai revus jouer récemment et le groupe a pris carrément du niveau pour tout : présence scénique, les instruments, les voix, etc. J’ai été incroyablement fier d’eux, et eux de moi. On se le rend bien, c’est vraiment plaisant.
  2. Alors pour l’anecdote de concert, sans citer les noms, je venais de commencer mon groupe * (on ne cite pas) et nous avions un concert à jouer, notre premier concert d’ailleurs. L’organisateur, forcément, nous met en ouverture et, parce qu’il faut savoir se vendre, je vais le voir directement et lui dit « Mec, c’est comme tu veux, mais mets nous en deuxiéme, qu’on passe juste avant *tête d’affiche*. Je te parie notre thune de ce soir : si on n’est pas meilleur que *** (groupe de merde, donc) selon tes goûts, tu ne nous paies pas. » Forcément, le mec tape le deal et nous met en second. Le groupe d’ouverture donc, groupe connu dans le coin avec plus de 20 concerts en une année, commencent à jouer et en plein milieu du set, s’arrêtent en plein milieu en cacophonie, avec le chanteur qui dit « Ok alors on reprend après le passage blasté. D’ailleurs t’étais pas censé blaster là mais faire du toupoudoupoutam tu vois. Allez. UN DEUX TROIS QUATRE ! » et ils reprennent, un truc absolument pire que les pires répétitions d’un groupe d’improvisation. Lorsque nous sommes montés sur scène avec DM, les gens s’attendaient à un mauvais metal extrême, et au final, grâce à ce concert, nous avons eu la réputation de ne pas faire beaucoup de concerts, mais d‘être de la qualité visuelle et musicale, grâce à cet organisateur et à sa promotion. D’ailleurs, une pensée pour lui, vu qu’il a été jusqu’au bout de ses croyances et s’est suicidé il y a quelques années : il nous manque, c’est certain, mais j’espère qu’il en torture quelques-uns, de l’autre côté.

Quelques liens  pour approfondir :

https://musicalexcrements.bandcamp.com/

https://www.facebook.com/vaer.end/?ref=ts&fref=ts

https://www.facebook.com/slowdooom/?ref=timeline_chaining

 

ave maria

 

 

 

 

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